Kaaka Thørring Poulsen ne sait pas si elle va y arriver. Si cette fois, les mots franchiront ses lèvres. Elle ne sait pas non plus si raconter allégera un peu le traumatisme. Si son corps «redeviendra plus léger». Kaaka Thørring Poulsen a 67 ans, bientôt 68, et elle se tord les mains comme une adolescente. En 1970, elle en avait 13 quand on lui a implanté un stérilet sans son consentement. Elle était une jeune inuite au Groenland et c’était un motif suffisant pour les médecins danois, alors en charge de la politique de santé publique de l’île.
De l’acte, sa mémoire n’a pas voulu garder de souvenir. Elle ne se souvient que de la convocation à l’hôpital d’Aasiaat, dans le nord-ouest du Groenland, des adolescentes qui attendaient leur tour. Et de la douleur, arrivée ensuite et qui ne l’a plus quittée. «J’étais encore une enfant et personne ne m’a expliqué ce qu’on me faisait, ni pourquoi», souffle la retraitée. A l’époque, elle ne savait pas ce qu’étaient ces «spirales», comme on appelle les stérilets utilisés à l’époque dans le pays. Elle ne savait pas non plus que l’implantation de ces dispositifs, trop volumineux pour le corps de jeunes adolescentes, était une politique d’Etat.
Dans les années 1960, le Groenland vit une double transformation. Depuis 1953, le territoire est passé officiellement du statut de colonie à celui de région danoise, et Copenhague mène une politique d’assimilation à marche forcée pour faire des Inuits des «Danois du nord».